Discours de clôture de Mme Geneviève Darrieussecq au Congrès de Paralysie cérébrale France

Reims, le 6 octobre 2022

Publié le | Temps de lecture : 12 minutes

Intervention de clôture de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des Personnes handicapées lors du Congrès de Paralysie cérébrale France, sous couvert de M Maëling le Bayon, directeur de cabinet.

Seul le prononcé fait foi.

Monsieur le Président de Paralysie Cérébrale France,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très honorée d’intervenir ce soir devant vous.

Vous vous réunissez à l’occasion d’un triple rendez-vous qui, je le sais, vous est particulièrement cher :

Le congrès 2022 de la fédération

La célébration des cinquante ans de l’Association d’Aide aux IMC du Nord et de l’Est

Et enfin la journée mondiale de la paralysie cérébrale.

Si vous me le permettez, je voudrais ajouter une autre raison de se réunir ce soir : cette année, ce sont les dix ans de la journée mondiale de la paralysie cérébrale. Et cela ne me paraît pas anodin.

D’abord, parce que cet anniversaire nous rappelle une chose assez saisissante : au fond, ce n’est qu’assez récemment que nous avons commencé à faire véritablement attention à la condition des personnes vivant avec une paralysie cérébrale et à leurs proches. C’est d’autant plus frappant que les premiers concernés savaient depuis longtemps combien un accompagnement réel est pourtant nécessaire.

Et cela, l’Association d’aide aux IMC du Nord et de l’Est le sait mieux que personne. C’est précisément à partir de ce constat qu’elle est créée, en 1972, par des parents refusent de baisser les bras.

Elle porte alors un nom qui reflète les réalités d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître : l’association d'Aide aux Infirmes Moteurs Cérébraux de Champagne-Ardenne.

Ces parents étaient confrontés à un dilemme : garder leurs enfants proches d’eux ou se résoudre à les envoyer en région parisienne, pour bénéficier d’un accompagnement spécialisé. Ce choix, ils ne pouvaient s’y résoudre. Ils se sont donc lancés dans l’aventure associative, de la vie militante, pour créer des solutions proches des lieux de vie et pour soutenir les familles touchées par ces situations.

Votre association a su évoluer depuis lors. Elle s’est glissé dans le vaste mouvement de création et d’essor de ce que l’on appelle aujourd’hui le secteur médicosocial.

Il y a eu d’abord la création d’établissements pour enfants. Et puis ceux destinés aux adultes ont suivi, notamment dans le domaine du travail aidé. Par la suite, ce sont des services qui ont été pensés pour accompagner les personnes et leurs proches sur leurs lieux de vie. Enfin, vous avez su vous rapprocher d’autres acteurs avec lesquels vous partagiez des buts communs :

L’Association Horizon Nouveau en 1996

L’Association départementale d’Aide aux IMC du département des Ardennes en 1998,

L’Association de Santé du Chemin Vert en 2015.

Et c’est ainsi que vous êtes devenus l’Association d’aide aux IMC du Nord et de l’Est.

Vous fêtez donc cette année vos cinquante ans. Et je tiens à vous souhaiter à toutes et tous, Mesdames et Messieurs les membres et les bénévoles de cette association, un très bel anniversaire !

Nous aurons l’occasion de fêter cela ce soir, avec la projection d’une rétrospective, la remise de trophées de l’engagement associatif aux fondateurs, un dîner de gala et, en moment fort de la soirée, un défilé de mode de personnes en situation de handicap.

Mais avant tout, je tenais à citer votre implication dans un projet qui me semble de première importance. Je veux parler de la création de stages de sensibilisation au handicap pour l’ensemble des étudiants de deuxième année de médecine, à l’initiative de l’UFR de Médecine de Reims.

Cette belle idée est née à l’occasion de la signature de la Charte Romain Jacob. L’équipe universitaire a réfléchi, en termes de formation initiale, à la contribution la plus pertinente à l’amélioration de l’accès aux soins des personnes en situation de handicap.

Ainsi, durant leur cursus de formation, les étudiants font l’expérience d’un stage précoce d’une semaine en établissement ou service médico-social. Initiée en juin 2017, cette démarche touche désormais environ 220 étudiants chaque année.

Ce stage de sensibilisation au handicap a clairement contribué à un changement du regard mutuel. Il permet aux étudiants en médecine de partager les savoirs et de découvrir les formidables compétences des aidants. Ce modèle, qui a fait ses preuves, a d’ailleurs commencé à se disséminer : nous devons aller plus loin en ce sens.

Votre capacité d’innovation s’exprime également au travers des projets que vous portez :

La Plateforme de Coordination et d’Orientation, portée par le Centre d’Action Médico-social Précoce « Bien naître » ;

Le Centre de Ressources Polyhandicap et le réseau des handicaps rares de la région Grand Est

Votre proposition d’offre d’habitats inclusifs

Et enfin votre Groupement d’Entraide Mutuelle, qui s’est construit sur le mode original de l’itinérance en milieu rural. Voilà une belle illustration de ce que signifier l’expression si importante dans notre secteur : « Aller vers ».

Il y a quelque chose que je constate en regardant toutes ces initiatives que vous avez lancées, et qui me semble être présent très tôt dans votre ADN : vous avez compris l’importance, et même la nécessité vitale, de créer des synergies. C’est dans ce sens que vous avez rejoint la Fédération Paralysie cérébrale France, pour y contribuer activement et pour y mettre votre énergie et votre force de conviction.

Cette Fédération, il faut aussi en dire quelques mots. Ce sont vingt-trois acteurs dont vous faites partie, issus de l’économie sociale et solidaire, gestionnaires ou non-gestionnaires de dispositifs médico-sociaux, couvrant plus de la moitié des départements français, tant en métropole que dans les territoires ultra-marins. Ce sont 6 300 collaborateurs qui accompagnent, chaque jour, près de 8 000 personnes (enfants, adolescents et adultes), à travers plus de 210 établissements et services médico-sociaux et de nombreux habitats inclusifs. Il s’agit, au total, d’une « force militante », comme vous aimez à le dire, de quelque 25 000 personnes mobilisées, proches aidants et professionnels

Ce qui vous anime profondément, c’est de faire avancer la cause des personnes vivant avec une paralysie cérébrale. Et pour cela, je vous salue ! Cet engagement, est utile, il est nécessaire, il est bienvenu. Et je suis également bien consciente que très souvent, il est aussi pour vous une véritable nécessité, et qu’il vous paraît impensable de faire autrement.

Au-delà de soulager sans relâche le quotidien des personnes avec paralysie cérébrale et de leurs proches, vous avez aussi à cœur de vous projeter vers l’avenir, d’imaginer d’autres possibles et, disons-le aussi, de bousculer !

Cette manière de vous projeter vers l’avant, on la retrouve pleinement dans le programme de votre congrès 2022.

Avec cette première journée tout d’abord, qui a été l’occasion de vous pencher sur les droits et le pouvoir d’agir sur sa vie. Vous avez contribué à dresser les grands enjeux de ces prochaines années en matière de compensation, de scolarité et de formation professionnelle. En matière aussi d’accompagnement vers une meilleure intégration sociale, ainsi qu’au droit de toute personne à une vie affective et sexuelle.

Chacun de ces sujets est fondamental.

J’ai bien noté que l’ambition de ce congrès, ce n’est pas seulement de faire un état des lieux, mais d’être bel et bien force de proposition.

Monsieur le Président, vous avez invité les intervenants à faire, je vous cite, « des propositions concrètes à l’échelle du quinquennat pour faire en sorte que les cinq prochaines années soient synonymes de nouvelles avancées sociétales en faveur des droits des personnes en situation de handicap et de leur capacité à être auteurs de leur vie. ».

Merci de cette démarche.

Parce que nous avons besoin de votre regard, nous autres représentants des pouvoirs publics, mais aussi plus globalement nous autres citoyens de notre République française dans son ensemble. Nous avons besoin de votre expertise et, je le dis très simplement aussi, nous avons besoin de vous comme des « aiguillons ».

Des progrès ont été accomplis en matière de diagnostic, d’intervention précoce et d’accompagnements. Des places ont été créées, des solutions ont été trouvées.

Pour autant, nul ne peut dire aujourd’hui, nul n’oserait le dire, que c’est suffisant.

Il nous faut continuer à agir. Les propositions que vous avez formulées aujourd’hui et les chemins possibles que vous allez aborder demain sont autant de pistes qu’il nous faut explorer. Elles viennent très opportunément nourrir ma réflexion dans l’optique de la prochaine Conférence nationale du handicap qui se tiendra en 2023, sous l’autorité du président de la République.

Je peux déjà vous dire que des efforts en matière de simplification du quotidien des personnes accompagnées et des professionnels, d’école inclusive, d’emploi des personnes en situation de handicap et d’accessibilité universelle seront au cœur de cette conférence.

Et bien entendu, en fil conducteur, l’autodétermination sera au centre de toutes les préoccupations.

Ah ! L’autodétermination ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on en entend parler à toutes les sauces.

Le concept est apparu, presque soudainement, il y a une petite dizaine d’années en France et il n’a de cesse depuis de se développer.

Et bien, je crois que c’est tout à fait heureux et opportun.

Il ne s’agit pas d’une lubie. Cela, vous l’avez bien compris ce matin, en écoutant Hélène Geurts, qui a eu la tâche délicate de présenter et d’expliquer ce qu’étaient les notions de participation, d’individualisation, d’auto-détermination et de liberté de choix. Je la salue pour son travail de pédagogie.

Je retiens quant à moi un élément essentiel : des études scientifiques démontrent que les personnes qui ont un niveau d’autodétermination élevé ont aussi une meilleure qualité de vie, un sentiment de bien-être plus important et de meilleures relations interpersonnelles.

Vous avez bien entendu : j’ai bien dit « les personnes », tout court, et pas les « personnes en situation de handicap ». Ce n’est pas un oubli de ma part : l’autodétermination concerne chacun et chacun d’entre nous.

Concrètement, qu’est-ce que ça signifie ?

Ça signifie que les personnes en situation de handicap doivent pouvoir exercer davantage de contrôle dans les domaines essentiels de leur vie, comme le choix de leur activité, de leur lieu de vie ou même de leurs relations.

Cela veut dire aussi que leur propre prise de décisions, pour ce qui les concerne, doit être absolument favorisée.

Et enfin, concrètement, cela veut dire que nous devons développer leurs possibilités d’agir. Il ne s’agit pas forcément de pouvoir faire seul. Qui peut pleinement agir seul aujourd’hui ? Nous avons tous besoin les uns des autres pour agir.

Être autodéterminé, c’est aussi pouvoir solliciter son entourage pour agir sur son environnement.

Cette autodétermination, et vous le savez aussi bien que moi, c’est un véritable changement de paradigme. Cela suppose que, tout un chacun, nous acceptions de faire un pas de côté, pour laisser les personnes s’exprimer et développer cette compétence d’autodétermination.

Ceci étant dit, je suis loin d’être aussi experte en la matière que les intervenants de ce congrès. Vous aurez notamment un atelier consacré demain à votre « Programme de formation d’experts d’usages ».  Et aujourd’hui, vous avez pu également profiter d’une intervention de Monsieur Philippe AUBERT, président fondateur de l’association « Rage d’exister », membre du CNCPH et président du conseil pour les questions sémantiques, sociologiques et éthiques. Voilà quelqu’un de qui on peut apprendre bien des choses en matière d’autodétermination et que je salue ici pour son expertise la qualité de ses travaux.

Je voudrais formuler un vœu ce soir.  Je pense que vous pourrez d’ailleurs me rejoindre là-dessus. 

Notre société doit être bien plus à l’écoute des personnes en situation de handicap, de ce qu’elles ont à nous dire et des choix qu’elles veulent faire. Et pour cela, nous devons travailler notre regard et nos représentations collectives.

On mésestime trop souvent la force du regard et des représentations. Ce sont pourtant des vecteurs de transformation très puissants.

Si vous avez présupposé à votre interlocuteur des compétences et des capacités, alors il devient plus probable qu’il exprimera précisément devant vous ses compétences et ses capacités.

Ce point est essentiel, car l’autodétermination n’est pas seulement une compétence qui relève de la personne : c’est aussi une compétence collective. Et une responsabilité sociale aussi. Par notre action, nous pouvons la favoriser. Par notre inaction, nous pouvons l’inhiber.

C’est pour cela que notre regard est fondamental : nous devons redonner de l’estime de soi aux personnes en situation de handicap. C’est fondamental. C’est même une question de dignité.

À ce titre, le défilé de mode prévu ce soir est une initiative que je tiens à saluer : bravo pour cela ! Vous illustrez concrètement que l’exigence et le sens de la beauté ne sont pas incompatibles avec les questions de handicap.

Je tiens enfin évoquer un autre sujet, qui est fondamentalement en lien avec le sujet de l’autodétermination et du regard : c’est le droit à une vie affective et sexuelle.

Cela peut paraître surprenant, alors que nous sommes en 2022, de devoir rappeler ce droit. Et c’est pourtant indispensable. Car oui, disons-le très clairement : certains de concitoyens et de nos concitoyennes en situation de handicap doivent aujourd’hui encore aujourd’hui des obstacles illégitimes, démesurés et choquants qui les privent d’une vie affective et sexuelle.

Quoi qu’on en dise, les tabous restent nombreux sur ces sujets. Je nous invite à les regarder bien en face et à poursuivre nos efforts de sensibilisation, de formation et d’accompagnement : il en va de notre devoir.

Je conclus cette prise de parole, alors que cette première journée de congrès se termine.

Demain, vous vous pencherez sur des ateliers autour de la thématique « L’innovation fait réseau ». Monsieur le Président, vous l’exprimez parfaitement bien, et je vous cite : « Il est, dans un contexte très difficile, plus que jamais nécessaire de démontrer notre attachement constant à faire progresser les différentes offres d’accompagnement sur la voie d’une inclusion réfléchie, ajustée aux besoins et aux désirs de chacune et de chacun. ».

Vous avez raison, le contexte est difficile.

Et vous avez également raison, cela rend encore plus nécessaire que jamais notre engagement à transformer les choses.

Nous ne le ferons pas seul. Car nous faisons société – et c’est ensemble, avec nos différences, avec nos divergences, mais aussi avec notre profond sens des responsabilités que nous allons poursuivre le travail.

Et, bien entendu, avec les personnes concernées : toujours avec elles et encore plus avec elles. Les solutions ne sont jamais aussi bonnes que lorsqu’elles ont été conçues avec elles.

Les défis auxquels notre société fait face sont inédits. Mais « relever des défis », devoir réagir à des situations inédites, devoir trouver des solutions là où elles n’existent pas encore : je sais que vos expériences de vie vous ont appris mieux qu’à quiconque le sens précis de ces mots.

Nous devons être à la hauteur de notre époque. Et lorsque je regarde cette assemblée, lorsque je regarde tout ce que vous avez réalisé durant ces nombreuses années, quand je vois votre résolue détermination à poursuivre l’amélioration de la qualité de vie des personnes, alors je me dis que nous pouvons regarder l’avenir avec confiance.

Je vous remercie.